[Journal d'enfance]

Journal d'enfance

-partie une-

On m’a toujours donné beaucoup de surnoms, surtout quand j'étais petite. Je ne comprends pas ce que les gens ont contre ces petits noms affectueux. Que ce soit l’enfant râleur après le « Mon Titi, n’oublie pas ta trousse ! » de sa maman, ou le petit ami insensible à qui l’on dit « A ce soir mon amour ! » ; ceux là ne mesurent pas leur chance.

J’ai aussi eu des surnoms, comme tout le monde, mais les miens n’avaient rien de réellement affectueux. Mes deux ainés voyaient en moi tantôt une créature fantastique, tantôt une calamité, et parfois aussi, j’étais désignée par ma taille. La sorcière, la peste, la petite. J’étais aussi « quelqu’un » quand à table, mon père lançait « Quelqu’un peut changer de chaine ? ». Même ma mère me considérait comme un désastre, essentiellement quand après avoir fait tomber des verres, elle s’insurgeait « Va t’en, miss catastrophe ! »

Je nous voyais tous les cinq, autour de la table à l’heure du repas, dans cette spacieuse cuisine où ma mère régnait en maitre. Mes parents, face à face, ne se regardaient jamais. Je bénissais alors mes deux ainés et la télévision qui rompaient le silence entre eux deux. Les nouvelles aux informations ne changeaient jamais. Quelques attentats à l’étranger, dans des pays aux noms improbables, quelques meurtres, accidents, ou délocalisations d’entreprises, la mort d’un village niché on ne sait où dans le fin fond d’une région campagnarde, et la disparition d’un métier autrefois répandu. Bien qu’attachée aux actualités, mais compte tenu du manque de nouveauté, je me permettais de ne pas suivre les reportages des journalistes. Pour rien au monde je ne voulais manquer le spectacle des repas en famille.